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Matrescence


 

 

Cher Amour,

 

A l'heure où je t'écris ces lignes, je viens de prendre un bain avec ma petite. C'était un de ces moments où on se créé notre bulle à toutes les deux. Où sa peau se fond dans ma peau, où ses soupirs de contentement et mes éclats de rire se mêlent aux clapotis de l'eau. Oui mais voilà Amour, ce gros câlin aquatique était teinté d'une sensation désagréable. Une boule dans ma gorge qui ne veut pas se desserrer malgré mes efforts. Cet après-midi, engluée dans une de ces fatigues que seules les mères connaissent, j'ai perdu patience. Ma petite pleurait, pleurait. Plus je la berçais, plus je tentais de l'apaiser par tous les moyens, plus elle pleurait. Et un de ses pleurs a fini d'assécher complètement ma coupe. J'ai craqué. J'ai crié. Tu la connais cette sensation de colère qui monte l'ascenseur tandis que la patience te déserte? Tu la connais cette boule sombre qui grossit à l'intérieur si tu ne prends assez le temps de respirer? Moi je connais. Je connais trop bien, même. J'ai craqué. J'ai crié. Pas a côté de ma petite, non, j'ai crié sur ma petite. Tout mon désespoir, toute ma tristesse, toute ma colère, je lui ai crié en pleine face. Toutes ces vibrations ont  résonné contre son petit torse et se sont transformées en pleurs encore plus intenses. 

 

Je venais de faillir à mon rôle de mère. Je venais de trahir le serment que j'avais passé lorsque j'étais enceinte avec mon futur moi. Le serment de toujours garder mon calme, d'enrober ma petite de douceur coûte que coûte. Qu'est-ce que je m'en veux putain. Qu'est-ce que j'ai honte de ne même pas savoir garder mon calme avec l'amour de ma vie.

 

Mais Amour, je n'avais pas compris que ma coupe, mon réservoir affectif clignoterait si souvent dans le rouge quand je serais mère. Je pensais qu'il me suffirait de me nourrir des sourires de ma fille et de mon amour débordant pour elle pour la remplir ma coupe. Ca suffit pas Amour, ma coupe se tarie. Elle se tarie parce que j'ai peur.

 

 

Amour :

De quoi as-tu peur ma petite chérie? Qu'est-ce qui t'effraie autant?

 

 

J'ai peur de n'être plus qu'une mère. Voilà je l'ai dit. J'ai peur d'être une mère et plus rien d'autre. Je pense à tous ces projets qui se lançaient avant d'être mère, je pense à tout ce que j'ai en tête, tout ce qui sommeille en moi, toutes mes envies. Et j'ai l'impression que mon cerveau n'a plus d'espace pour tout çà. C'est comme si mon cerveau avait atteint sa capacité maximale et que j'avais beau scruter, je ne trouvais plus un demi centimètre d'espace. J'ai peur d'ouvrir mes cahiers de formation et d'être tellement distraite que rien ne rentre. J'ai peur d'être jugée par ma professeure et d'être considérée comme une paresseuse (ou une idiote!).

J'ai peur que mes amies ne veuillent plus me voir parce qu'elles ont peur de gêner. J'ai peur qu'elles ne me voient plus que comme une mère. J'ai peur de ne plus me rappeler le nom des postures de yoga.

 

Tu vois Amour, je crois que mon ego se mange un mur là. Je me voyais comme une meuf super forte, une professeure de yoga passionnée, une créatrice de réunions entre femmes, la meuf qui danse comme une folle dans les soirées, la meuf qui prend sa voiture et fais des kilomètres pour voir ses amies. La meuf qui a du charisme et qui plaît. La meuf qui se verse un whisky et parle pendant des heures avec son amoureux en écoutant ses musiques favorites. Mais là c'est comme si toutes ces parties de moi s'étaient envolées. Comme si elles avaient glissé hors de moi en même temps que le placenta. 

 

Je sais que je devrais me sentir comme une putain de déesse, mais non, aujourd'hui j'ai peur de devenir invisible. 

J'ai peur de ne plus savoir comment remplir ma coupe. 

 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Valérie Aguelon (mardi, 09 février 2021 21:43)

    Quand mes 3 enfants e
    étaient petits, je me disais que j étais une femme outil, une femme machine
    Cela laisse de multiples cicatrices, même maintenant 25 ans plus tard, je compte mon temps, toujours, je me dois aux autres.. je travaille à vivre pour moi..
    Et à la maternité, j ai ressenti lorsque ma fille est née que j etais releguee à l arriere plan, que j etais devenue secondaire
    C était mon histoire, il y a 25 ans, et beaucoup de choses ont changé..
    Et je te confirme que ton charisme et tes talents d ecriture, de pâtissière et de prof de yoga sont toujours bien là

  • #2

    Géraldine (dimanche, 14 février 2021 20:26)

    Bonsoir Marie, C’est humain et réassurant pour les autres mamans que nous sommes. Une petite proposition pas du tout péremptoire : prends du temps rien que pour toi régulièrement. Tu réintégreras tout ce que tu crois avoir perdu. Je sais aussi que tu parleras de cet épisode à ta fille, tu lui expliqueras et elle te comprendra. Courage à la magnifique maman que tu es, relève toi et avance en confiance. Bonne route dans cette aventure tellement déstabilisante mais qui fait grandir �